ANALYSE

Au Liban, un Hezbollah sur la sellette

Entre le 25 mai 2000 et le 25 mai 2020, tant de choses se sont passées. Au point que de nombreux Libanais ont oublié l’importance de l’événement qui a eu lieu vingt ans plus tôt et qui a marqué un tournant dans la vie du pays.

En effet, c’était la première fois qu’un pays arabe réussissait à obtenir un retrait militaire israélien de son territoire sans conditions en contrepartie. Et cela en dépit des pressions occidentales, et en particulier américaines, qui voulaient sauver la face des Israéliens. Bien peu de personnes se souviennent ainsi de la conversation téléphonique entre le président libanais de l’époque Émile Lahoud et la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright lorsque, selon Lahoud, il aurait mis fin à la conversation en prétextant que l’heure était tardive afin de couper court à l’insistance de son interlocutrice pour conclure un accord indirect avec les Israéliens.

Dans un ouvrage écrit par Karim Pakradouni sur son mandat, Émile Lahoud raconte aussi que l’ancien président français Jacques Chirac avait proposé l’envoi d’une force spéciale française pour accompagner le retrait des soldats israéliens. L’objectif était d’empêcher tout acte de vengeance ou de règlements de comptes entre Libanais. Lahoud s’était alors porté garant de la stabilité et, de fait, après le départ des soldats israéliens et des miliciens de l’Armée du Liban-Sud qui collaboraient avec eux, et le retour massif des habitants du Sud et de la Békaa-Ouest chez eux après avoir été contraints à l’exode, il n’y a pas eu un seul incident ni une seule friction.

Au cours des 20 dernières années, le Hezbollah a en effet eu du mal à nouer des alliances solides avec les autres composantes politiques et confessionnelles du pays.

Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’avait d’ailleurs rappelé dans plusieurs de ses discours pour affirmer que la formation qu’il dirige ne s’est jamais comportée en partie victorieuse et d’une façon vindicative avec les autres composantes du pays, surtout celles qui, un moment, avaient accueilli favorablement l’occupant israélien. Nasrallah a eu beau chercher à rassurer les autres parties libanaises et essayer de se montrer conciliant dans les dossiers internes, le Hezbollah n’a toutefois jamais cessé de susciter une certaine méfiance chez ses partenaires libanais qui se sont mis à craindre sa force croissante. Au cours des 20 dernières années, le Hezbollah a en effet eu du mal à nouer des alliances solides avec les autres composantes politiques et confessionnelles du pays.

Le Hezbollah peut toutefois se prévaloir de deux grandes réussites dans ce domaine. D’abord, l’alliance nouée avec le mouvement Amal dirigé par le président de la Chambre, Nabih Berry, conclue en 1989. Elle tient bon contre vents et marées et en dépit de nombreuses divergences, notamment sur les dossiers internes. Cette alliance a été précédée par des affrontements sanglants dans l’Iqlim el-Touffah (au Sud) entre les deux formations, et elle a été parrainée par l’Iran et la Syrie. Ensuite, l’alliance conclue avec le Courant patriotique libre le 6 février 2006 à Mar Mikhaël et qui continue de bénéficier d’une assise solide malgré de nombreuses divergences sur des dossiers internes aussi.

En dépit de ces deux alliances solides et d’un réseau de relations avec de nombreux personnalités ou groupes de toutes les communautés et dans presque toutes les régions, le Hezbollah n’a, au cours des vingt dernières années, jamais réussi à faire l’unanimité autour de lui. Au contraire. À mesure que sa force se développait, ainsi que sa présence régionale, la méfiance augmentait à son égard. Plus il devenait puissant et plus les accusations pleuvaient sur lui, en particulier celles d’être un instrument de la politique iranienne dans la région et de vouloir imposer sa mainmise sur le pays.

Tout au long des années, le Hezbollah a réussi relativement à neutraliser ces critiques en renforçant ses alliés au sein des institutions de l’État pour s’assurer une sorte de filet de sécurité. Il a ainsi plus ou moins réussi à éviter les confrontations avec ses adversaires politiques internes (sauf celle du 7 mai 2008 avec le courant du Futur) et à atténuer les effets de la violente campagne occidentale, en particulier américaine, menée contre lui et destinée à le considérer comme une organisation terroriste.

Lors des élections législatives de 2018, lors lesquelles le Hezbollah a raflé avec Amal tous les sièges chiites et a donc obtenu avec ses alliés la majorité des sièges parlementaires.

Mais à la vingtième année, il a dû faire face à une campagne d’un genre différent visant sa propre assise populaire. En effet, celle-ci a continué à l’appuyer lors de la participation à la guerre en Syrie et lors des sanctions américaines contre le secteur bancaire libanais destinées principalement à assécher ses sources de financement. Cela s’est traduit lors des élections législatives de 2018, lors lesquelles le Hezbollah a raflé avec Amal tous les sièges chiites et a donc obtenu avec ses alliés la majorité des sièges parlementaires. Mais dans la foulée de la crise économique et financière sans précédent qui frappe le pays et du mouvement de protestation populaire, le Hezbollah doit désormais faire face à une grogne au sein de la communauté chiite.

Des figures importantes du mouvement de protestation populaire appartiennent à cette communauté et, en raison des difficultés économiques, certaines voix commencent à s’élever pour dire que c’est à cause du Hezbollah que le Liban est en quelque sorte montré du doigt par la communauté internationale et en particulier par de nombreux pays occidentaux.

La puissance du Hezbollah, surtout face aux Israéliens et même aux terroristes islamistes, sur laquelle insiste Hassan Nasrallah, n’est plus un thème aussi porteur que par le passé. Les nouvelles générations ne se souviennent même pas de l’occupation israélienne, et les problèmes de la vie quotidienne sont aujourd’hui leur priorité. Surtout qu’après l’annonce officielle du Hezbollah de se lancer dans la guerre contre la corruption faite dans la foulée des élections de 2018, les résultats restent bien maigres et peu concrets aux yeux d’une grande partie de la population. Vingt ans après la libération du Sud et de la Békaa-Ouest, le Hezbollah doit donc faire face à une guerre différente, et le défi est immense.

Scarlett Haddad / OLJ

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